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Legislation on religious activities and religious bodies

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Circulaire NOR/INT/A/08/00044/C. Lutte contre les dérives sectaires

Paris, le 25 février 2008

La ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales
à
Mesdames et Messieurs les préfets
Monsieur le préfet de police

OBJET: Lutte contre les dérives sectaires.

L’action contre les dérives sectaires nécessite une méthode rigoureuse et une grande sévérité dès lors que les faits permettent d’attester d’une atteinte à l’ordre public, aux biens ou aux personnes. L’objet de la présente circulaire est de rappeler l’arsenal juridique disponible et de vous engager à mener une action coordonnée de lutte contre les dérives sectaires.

Face à l’évolution du phénomène des dérives sectaires, il apparaît nécessaire de relancer l’action des pouvoirs publics en adaptant les méthodes de lutte à cette évolution. L’arsenal juridique disponible pour mener cette lutte semble suffisant, qu’il s’agisse des textes ou de la jurisprudence. La difficulté tient à sa mise en œuvre qui ne peut se fonder que sur des éléments concrets, des faits avérés et pénalement répréhensibles.

1. Le principe : la liberté d’opinion et de croyance

La notion de secte, certes couramment utilisée, est une notion de fait et non de droit. Au regard du droit, l’appartenance à un mouvement quel qu’il soit relève d’abord d’une opinion, dont la liberté est un principe constitutionnel.
Les textes fondateurs sont :
 l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public institué par la loi » ;
 l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : la France, République laïque, « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Dans la même ligne, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Conformément aux principes républicains, la lutte contre les dérives sectaires n’a pas pour but de stigmatiser des courants de pensée. C’est le sens de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, qui rappelle que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (…) dans l’intérêt de l’ordre public ».
La loi du 9 décembre 1905 (art 19) précise qu’une association cultuelle doit être exclusivement consacrée à l’exercice du culte. Le Conseil d’Etat a également été amené à préciser, par sa jurisprudence, la notion d’association cultuelle. Outre les critères du nombre d’adhérents et de limites territoriales fixés par la loi de 1905 et le décret du 16 mars 1906, le Conseil d’Etat a dégagé trois critères substantiels pour la reconnaissance de cette qualité : la pratique d’un culte, le caractère exclusif de l’objet cultuel de l’association, le respect de l’ordre public.
Cependant le champ des dérives sectaires ne saurait se limiter aux seules associations à caractère cultuel.
En l’absence de définition de ce qu’est un mouvement sectaire, c’est donc la notion d’ordre public qui est centrale. La détermination des faits portant atteinte à l’ordre public, aux biens ou aux personnes, doit permettre de lutter contre les dérives sectaires. Mais il est de jurisprudence constante que les restrictions apportées au nom de la préservation de l’ordre public doivent toujours l’être au cas par cas, « in concreto », à partir de faits régulièrement établis.

2. Arsenal juridique pour lutter contre les groupements méconnaissant l’ordre public

La France dispose ainsi d’un arsenal juridique étendu pour lutter contre les dérives sectaires. Différentes mesures peuvent donc être prises à l’égard des mouvements qui manifestent des comportements contraires à l’ordre public.

1°) Dissolution administrative
La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées permet au Président de la République, de dissoudre, par décret en conseil des ministres, certains groupements ou associations, pour atteinte à la légalité républicaine, collaboration avec l’ennemi, provocation à la haine raciale ou terrorisme.
Cette mesure est cependant rarement adaptée à l’égard des groupements manifestant des dérives sectaires.

2°) Dissolution judiciaire
• La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association prévoit, dans son article 3, que « toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement est nulle et de nul effet ». Sa dissolution peut être prononcée par le tribunal de grande instance.
En pratique, cette mesure est rarement mise en œuvre, les mouvements à caractère sectaire constitués en association prenant soin de ne pas faire figurer explicitement dans leur objet des activités illicites.
• La loi du 12 juin 2001 (dite About-Picard) prévoit un nouveau cas de dissolution judiciaire. Son article 1er dispose que « peut être prononcée la dissolution de toute personne morale, quelle qu’en soit la forme juridique ou l’objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, lorsque ont été prononcées, contre la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait, des condamnations pénales définitives » dont le détail est donné dans cet article (parmi lesquelles atteintes volontaires ou involontaires à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, la mise en danger de la personne, l’exercice illégal de la médecine la publicité mensongère, les fraudes, l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse).
La répétition de condamnations pénales doit permettre de demander et d’obtenir la dissolution d’un groupement à caractère sectaire. Mais il n’a pas encore été fait application de la procédure de dissolution sur le fondement de cette loi.

3°) Sanctions pénales
Il existe de nombreux exemples de qualifications pénales susceptibles d’incriminer une dérive sectaire.
a) Les atteintes aux personnes physiques
 La non-assistance à personne en danger (art 223-6 du CP). La Cour d’assises de Quimper a condamné le 3 juin 2005 des parents adeptes d’une pratique thérapeutique non réglementée à 5 ans d’emprisonnement dont 52 mois avec sursis et mise à l’épreuve pour non assistance à personne à danger.
En matière de refus de transfusion sanguine par un adulte, je vous rappelle que le conseil d’Etat, dans une décision du 16 août 2002, a estimé que « le refus de recevoir une transfusion sanguine constitue l’exercice d’une liberté fondamentale » et que la loi dite Kouchner de mars 2002 a renforcé le droit du patient majeur à discuter de son traitement, droit déjà consacré par la jurisprudence du Conseil d’Etat.
En ce qui concerne plus spécifiquement les enfants et la transfusion sanguine, je rappelle qu’en cas d’urgence l’alinéa 5 de l’article L1111-4 de la loi de mars 2002 prévoit que « Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves sur la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. »
Par conséquent, la loi est claire: le droit de l’enfant à s’exprimer est respecté mais c’est sa santé qui est privilégiée, même en cas d’opposition des parents. La loi de 2002 permet donc au médecin d’agir sans avoir à demander à l’autorité judiciaire d’ordonner les mesures d’assistance éducative qui étaient auparavant nécessaires à son intervention. En situation d’urgence, le médecin est juridiquement habilité à se substituer en toute légitimité et légalité à l’autorité parentale.
 Les agressions sexuelles sur mineurs (article 227-25 du CP). Certains dirigeants de mouvements ont été condamnés pour des agressions sexuelles sur des mineurs, le mode de vie au sein du groupement permettant de retenir parfois la circonstance aggravante de viol par personne ayant autorité (Cass, crim, 9 décembre 1998 et TGI de Versailles du 2 décembre 2005) ;
 L’abus de l’état de faiblesse (article 223-15-2 du CP) qui réprime l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de situation de faiblesse d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d’une maladie ou d’une infirmité. Il protège aussi désormais, depuis la loi About Picard du 12 juin 2001, la personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement (ex : cures de purification, jeûnes prolongés, cours d’initiation répétés…). Condamnation du fondateur du mouvement Néo phare à Nantes ayant incité un de ses adeptes à se suicider (TGI de Nantes, 25 novembre 2004) ;
 Le droit de la famille. De nombreux contentieux naissent lors de procédures de séparation d’un couple du fait de l’appartenance de l’un des époux à un mouvement ayant une réputation « sectaire ». La Cour de Strasbourg interprète l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme comme interdisant d’exclure le droit de garde parental au seul motif de l’appartenance aux Témoins de Jehovah (CEDH, 23 juin 1993, Hoffman c/Autriche). De même, le premier protocole additionnel de la CEDH dans son article 2 indique que « L’Etat (…) respectera le droit des parents d’assurer éducation et enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

b) Les atteintes aux biens les plus fréquemment relevées par les tribunaux
 L’escroquerie (article 313-1 du CP). Exemple de médecin qui use de sa qualité d’homéopathe pour inciter certains de ses patients particulièrement vulnérables sur le plan psychique à adhérer à une doctrine, démarche spirituelle censée atténuer leurs maux (CA de Besançon, 7 mai 1997).
 L’abus de confiance (article 314-1 du CP). Ces atteintes aux biens sont régulièrement signalées dans certains mouvements proposant des prestations de développement personnel ou d’amélioration sensible et rapide des potentialités de leurs clients ou de leurs membres.
On peut citer également les infractions au code de la santé publique (exercice illégal de la médecine ; condamnation par la Cour d’Appel de Chambéry du 1er juillet 2004 pour escroquerie et complicité d’exercice illégal de la médecine), ainsi que celles au code de la construction, au code général des impôts (notamment pour fraude fiscale prévue à l’article 1741 du CGI), les infractions au code du travail (durée excessive ou caractère clandestin du travail), les infractions à la législation sur l’obligation scolaire, ou encore les infractions en matière douanière, notamment en ce qui concerne les déclarations de mouvements internationaux de capitaux (article 464 du code des douanes).

c) L’extension de la responsabilité pénale des personnes morales à certaines infractions pénales
La loi du 12 juin 2001 a étendu la responsabilité des personnes morales à plusieurs infractions généralement commises au sein des mouvements sectaires. Elles concernent :
 L’exercice illégal de la médecine (article L 372 et suivants du code de la santé publique). Les peines encourues ont été aggravées ;
 Les délits de fraude et de falsifications (articles L213-1 à L213-4 du code de la consommation) ;
 Les menaces (articles 222-17, article 222-18 et 222-18-2 du CP). Elles sont commises par les dirigeants sur les membres ou anciens membres qui ont quitté la secte et qui souhaitent engager des procédures judiciaires contre celle-ci. ;
 Infractions d’atteinte au respect dû aux morts (articles 225-17 ; 225-18 et 225-18-1 du CP) commises au sein des sectes dites sataniques ;
 Atteintes volontaires à la vie (article 221-1 et suivants du CP) comme l’empoisonnement, le meurtre, l’assassinat…) ;
 Les tortures et actes de barbarie (article 222-1 du CP) ;
 Les viols et agressions sexuelles (articles 222-23 et 222-22 et suivants du CP) ;
 L’abandon de famille (article 227-3 du CP) ;
 L’entrave aux mesures d’assistance et l’omission de porter secours (articles 223-5 et 223-7-1 du CP).
Par ailleurs, l’article 19 de la loi du 12 juin 2001 restreint la possibilité de faire de la publicité au profit des organisations sectaires qui ont fait l’objet de condamnations.
Enfin, la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes avait inséré dans le code de procédure pénale un article permettant aux associations de défense contre les sectes de se constituer partie civile, en cas de commission de certaines infractions portant atteinte aux droits de l’homme (article 2-17 du CPP).

*****

Les textes et la jurisprudence mettent donc à la disposition des pouvoirs publics un arsenal juridique suffisant pour sanctionner les dérives sectaires.
La difficulté tient dès lors à la mise en œuvre de ce dispositif juridique qui nécessite que soient établis des faits avérés constitutifs d’une atteinte à l’ordre public, aux biens ou aux personnes. Ainsi l’établissement de preuves se heurte souvent à l’absence de plaintes, à la rareté des témoignages qui par ailleurs peuvent varier dans le temps, à la complexité de la procédure ou encore à la difficulté de déterminer à partir de quand une personne appartenant à un mouvement suspecté de dérives sectaires n’a plus son libre arbitre et devient une victime en état de dépendance (Cass, crim, 19 septembre 2000). De même est-il assez fréquent que des victimes qui se sont portées partie civile renoncent en cours de procédure.
La circulaire du Premier Ministre en date du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires a clairement indiqué la nécessité d’abandonner dans la recherche des dérives sectaires toute référence à des listes, pour privilégier une logique de faits ayant l’avantage d’élargir le champ des investigations sans limiter celles-ci à des groupements préalablement identifiés.
Je vous demande donc de relancer l’action de l’Etat en matière de lutte contre les dérives sectaires et, pour cela, de réunir au plus tôt les services concernés au sein d’un groupe de travail restreint. En effet, dans le cadre de la simplification des commissions déconcentrées, la lutte contre les dérives sectaires a été transférée au conseil départemental de prévention de la délinquance, de lutte contre la drogue, contre les dérives sectaires et d’aide aux victimes. Toutefois pour des raisons d’efficacité, il vous est demandé de mettre en place un groupe de travail spécifique. Je souhaite que ce groupe s’inspire, dans ses méthodes de travail, du fonctionnement des GIR qui ont fait la preuve de leur efficacité. Il sera le lieu de centralisation et de recoupement des informations concernant d’éventuelles dérives sectaires susceptibles de faire l’objet de procédures judiciaires après signalement au procureur de la République.
J’appelle votre attention sur l’importance de sécuriser sur le plan juridique les actions menées en matière de lutte contre les dérives sectaires. En effet, les auteurs de dérives sectaires sortent souvent renforcés de procédures qui, faute d’être étayées, amènent les services de l’Etat à être déboutés de leur action, ou pire encore, condamnés.
Vous me rendrez compte, sous le présent timbre, avant le 15 avril de la mise en place et des travaux du groupe de travail que vous réunirez régulièrement en tant que de besoin et au moins une fois par trimestre.

Michèle Alliot-Marie